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: Entretien avec Madeleine Louarn et Jean-François Auguste

Vous aviez adapté il y a quelques années le chapitre 4 des Voyages de Gulliver. Que met en lumière ce nouveau périple dans l’archipel de Laputa?


Madeleine Louarn : Le roman de Jonathan Swift nous permet de nous projeter dans une histoire que l’on pourrait dire « hors du temps » mais qui nous offre la possibilité d’aborder certains enjeux de notre époque. Lorsque Les Voyages de Gulliver paraissent en 1726, Jonathan Swift est en première ligne pour observer les « crises » qui secouent le XVIII e siècle et le Royaume- Uni : révolution industrielle et technologique, nouvelles utopies politiques... Ce conte philosophique fait écho à ce que nous vivons. Il parle de mondes en pleine transformation, du doute et de l’angoisse que cela produit. Les questions qu’il pose sont étonnamment contemporaines.


Jean-François Auguste : Comment parler de « la fin » à travers le corps des hommes ? Comment nos propres corps sont-ils traversés par une époque ? Que signifie aujourd’hui la fin du monde et la fin de soi ? Comment répondre à nos fragilités ? La science, l’innovation et le transhumanisme répondent-ils ou non à notre angoisse ? La force de Swift est de poser ces questions avec humour et profondeur, philosophie et autodérision.


Pour cette création, les acteurs de Catalyse ont pris part à l’écriture du spectacle. Cela a-t-il eu un impact sur leur manière de traverser l’histoire ?


Madeleine Louarn : Ils ont vraiment pris l’écriture à bras le corps. Leslie Six et Pierre Chevallier, les dramaturges avec qui nous avons collaboré, ont mené des ateliers avec les acteurs pendant deux ans. Nous avons essayé de rester au plus près de leur langue. Cette recherche avait deux axes majeurs : les personnages qu’ils allaient incarner et l’univers de Gulliver. Ce travail d’écriture révèle une puissance d’imagination surprenante qui renouvelle leur rapport au plateau.


Jean-François Auguste : Il renouvelle aussi leur implication. Nous avons voulu créer une vraie rencontre entre Swift et les acteurs de Catalyse. Beaucoup de motifs et de textes du spectacle viennent de leurs travaux d’écriture. Cela crée un rapport à la langue et aux personnages plus familier. Et cela renforce aussi le plaisir qu’ils ont à jouer.


Comment sera représenté ce voyage au plateau ?


Jean-François Auguste : Le troisième chapitre des Voyages de Gulliver se passe dans les quatre îles de l’archipel de Laputa. Chacune de ces îles est singulière et questionne différemment les thèmes de notre dramaturgie. Ces quatre univers très distincts seront mis en valeur par le travail de l’artiste plasticienne Hélène Delprat. Les costumes des personnages qui les habitent seront conçus par Clémence Delille. Et les ambiances sonores seront créées par Alain Mahé. Même si les thèmes que nous abordons peuvent paraître sombres ou difficiles, nous voulons les traiter par le rire ou le jeu.


Madeleine Louarn : Pour chacune de ces îles nous avons cherché à nous approprier et à développer l’humour mordant et satirique de Jonathan Swift. Sa fantaisie et sa liberté d’imagination nous ont vraiment stimulés, comme notre volonté de faire un spectacle tout public – qui puisse s’adresser à la fois aux enfants, aux adolescents et aux adultes. Plusieurs niveaux de lecture et d’humour se mêlent souvent au même moment.


Cela fait maintenant plusieurs années que vous collaborez, comment se pense une mise en scène en duo ?
Madeleine Louarn : Ce n’est pas si compliqué. Nous avançons de concert. L’un de nous lance une idée et nous approfondissons ensuite ce qui deviendra une vision commune. C’est un processus assez instinctif, que nous pratiquons depuis plus de dix ans.
Jean-François Auguste : Ce que je trouve magnifique avec les acteurs de Catalyse, c’est l’importance que le jeu a pour eux : la fiction, l’incarnation, la projection dans un personnage, la conscience du récit... Le travail que nous menons avec eux développe un imaginaire que ni eux ni nous ne soupçonnions. Ils sont, ensemble, une machine à rêver. Et cela impacte notre manière de penser le processus de travail : comment les nourrir ? Quels exercices leur proposer pour qu’ils s’approprient les motifs du spectacle ? Leurs personnages ? Comment la musique peut-elle soutenir leur jeu dans le rythme ou l’intention ? Chacun de nous amène dans ce travail sa propre sensibilité et sa propre expérience.


Comment réussit-on aujourd’hui à construire un imaginaire commun ?


Jean-François Auguste : Le travail de metteur en scène c’est de regarder des êtres vivants travailler au plateau. Et les acteurs de Catalyse travaillent autrement. Ils travaillent autrement le temps et l’espace du plateau. Dans leur travail ils appréhendent, chacun à leur manière, l’imaginaire, la poétique, le sens des spectacles... Cela nous surprend toujours. Et c’est tout l’intérêt du travail que nous menons ensemble.


Madeleine Louarn : Les acteurs sont donc au centre de notre travail. L’imaginaire commun est d’autant plus fort et plus facile à construire que les thématiques que nous abordons, comme dans Gulliver, traitent de notre condition humaine et peuvent évoquer notre époque.


  • Propos recueillis par Marion Guilloux en février 2021 pour le programme du Festival d'Avignon
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