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Giselle...

François Gremaud ( Mise en scène ) , Samantha Van Wissen ( Chorégraphie ) , Luca Antigani ( Musique )


: « J’aime partager l’étonnement »

Entretien avec François Gremaud

Giselle... succède à Phèdre ! : quel sens donnez-vous aux signes de ponctuation qui différencient les titres de vos pièces des œuvres de référence ?


Phèdre ! a été écrite pour être jouée dans les lycées. En ponctuant le titre d’un point d’exclamation, j’ai voulu insuffler le désir et l’immédiateté d’une rencontre avec cette œuvre magistrale. J’ai souhaité caractériser autrement la seconde pièce et j’ai alors découvert que les points de suspension – qui portent en eux le caractère inexprimable d’un état d’âme ou appellent un terme complémentaire – sont apparus avec le romantisme dont Giselle marque l’apogée. Les signes de ponctuation marquent le fait que, si nous partons de l’œuvre originale, ce que nous concevons n’est pas l’interprétation ni même la ré-interprétation de celle-ci. Phèdre ! et Giselle... sont bien autre chose que Phèdre et Giselle.


Phèdre ! et Giselle... répondent à un même principe qui consiste à réduire une pièce pour un interprète seul en scène. Toutes deux s’inscrivent de manière oulipienne dans une symétrie presque radicale.


Je place mon travail dans la filiation de l’Oulipo dans le sens où je m’intéresse à la mécanique d’une œuvre, à la machine dramaturgique. Mes pièces ont leur propre structure faite de contraintes qui stimulent l’auteur-metteur en scène que je suis. J’écris beaucoup, de manière très fouillée. Structurer avec précision permet qu’advienne chez l’interprète une liberté, seule condition du sublime.


Ce que vous déployez spécifiquement pour ce projet s’apparenterait-il alors à un exercice de style ?


Oui, en quelque sorte. Phèdre ! était la réponse à une commande du Théâtre Vidy-Lausanne et l’occasion d’explorer cette œuvre que j’adore avec un acteur que j’admire, Romain Daroles. Giselle... est venue à moi après avoir rencontré Samantha van Wissen alors que je travaillais en tant que dramaturge avec Thomas Hauert. Lorsque j’ai compris que le personnage de Giselle est au ballet classique ce que celui de Phèdre est au théâtre, j’ai réalisé que je pouvais déplier un même protocole. En tant qu’artiste, s’appuyer sur un programme pour exercer ses compétences contribue aussi à réinventer sa pratique. Et puisque je ne connaissais pas le ballet classique, c’était assez joyeux pour moi de faire mes classes, à mon âge !


Comment avez-vous travaillé avec Samantha van Wissen, danseuse contemporaine, à l’appropriation de ce grand rôle classique ?


Par la paraphrase : nous avons identifié dans les danses emblématiques du ballet une ligne mélodique que Samantha rejoue librement. Dans la pièce, elle commente souvent ce qu’elle fait en disant « je paraphrase un peu, mais c’est l’idée », et c’est exacte- ment ça : nous gardons l’essentiel. Nous nous sommes appuyés également sur de précédentes interprétations des rôles : Myrtha est inspirée par une interprète très anguleuse du Bolchoï. Giselle, plus ronde, est insufflée par Natalia Makarova, qui formait un extraordinaire duo avec Mikhaïl Baryshnikov en 1977 à l’American Ballet Centre.


L’adaptation réalisée par Luca Antigagni est-elle également une « paraphrase » de l’œuvre musicale originale ?


À partir d’un montage que j’ai fait, Luca a pris le parti de ne pas mener de déstructuration mais une réinstrumentalisation en adossant à la flûte, à la harpe et au violon, un saxophone, instrument né en 1842, une année après la création de Giselle – rue Myrtha à Paris pour l’anecdote. Cette délicate modernisation apporte à l’œuvre une vivacité nouvelle qui m’enchante.


Quelle incidence le fait de travailler à partir d’une œuvre chorégraphique a-t-il sur votre écriture ?


Récemment, j’ai mis en relation le fait que mon travail s’appuie sur les corps avec la surdité de mon frère.
J’ai grandi avec la langue des signes et je suis imprégné de ses repères linguistiques, de l’articulation accentuée et des ancrages spatiaux. J’ai réalisé que, sur le plateau, si je dois toujours poser des lignes de temps et situer géographiquement un être ou un objet, c’est parce que c’est pour moi la seule manière de structurer ma pensée, d’ordonner mon discours, de faire comprendre une idée tout simplement. Giselle... est la rencontre entre cette langue, la pantomime un peu désuète héritée du ballet et le langage chorégraphique extrêmement libre de Samantha.


Vous avez précédemment évoqué la joie. Quelle place occupe-t-elle dans cette tragédie que vous qualifiez de comédie-ballet ?


Théophile Gautier voyait Giselle non comme une victime mais comme une jeune fille forte, joyeuse, libre. Nous avons donc adopté un regard éloigné du point de vue misogyne qui a souvent été de mise. J’ai écrit à partir des témoignages de ballerines que nous avons interrogées et qui, pour la plupart, désirent ou aiment interpréter ce rôle, l’un des rares qui soit un être bien réel et non fantastique, du moins dans la première partie. Notre ambition est de porter cette joie profonde qui réside à la fois dans le personnage même de Giselle, dans mon approche et dans l’étonnement dont Samantha elle-même témoigne. Danseuse, elle a toujours rêvé d’être comédienne et il y a une joie commune dans notre échange de pratiques.


Vous abordez l’œuvre à travers son contexte de création, sa fable, son esthétique : quel rapport au savoir développez-vous ?


Ce didactisme découle de ma curiosité : j’aime partager l’étonnement. Actuellement, dans le spectacle vivant, on se prévaut de déconstruire les idées reçues et on revendique l’interdisciplinarité. Or je reconnais avoir eu jusqu’alors des préjugés sur le ballet classique et ignoré que le ballet est né dans le théâtre de Molière... Aller au-delà de notre jugement est un geste joyeux, empathique. Un geste qui pourrait être extrapolé à la rencontre avec toute altérité, qu’il s’agisse d’une personne, d’une croyance, d’une pensée.


  • Propos recueillis par Mélanie Jouen
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