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Erzuli Dahomey : déesse de l'amour

mise en scène Éric Génovèse

: Les créations de pièces à la Comédie-Française

par Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste de la bibliothèque de la Comédie-Française

La création[1] de pièces nouvelles est constitutive de la troupe unique fondée par Louis XIV en 1680. Le privilège du répertoire en Français accordé aux comédiens contraint tout auteur à s’adresser aux seuls Comédiens-Français pour être joué, tandis qu’inversement, les comédiens ont le devoir de constituer leur « répertoire », fonds recouvrant l’ensemble des pièces anciennes déjà créées et qui s’enrichit chaque mois de pièces nouvelles. De 1680 à 1685, les comédiens s’empressent de reprendre les pièces de l’ancien répertoire créées par les troupes disparues pour fonder le socle « patrimonial » de leur répertoire dans lequel ils vont puiser, puis ils se consacrent quasiment exclusivement à la création contemporaine en faisant alterner ces nouvelles pièces avec des reprises de pièces déjà inscrites au répertoire.
La Révolution abolit les privilèges existants et proclame la liberté des théâtres, entraînant de ce fait la création de nombreuses institutions aux destins éphémères dont les répertoires sont parfois perméables. Le Théâtre-Français voyant ses avantages battus en brèche profite par ailleurs de cette nouvelle situation dès 1793 pour reprendre Les Fausses Confidences de Marivaux qui avaient été créées par la troupe italienne en 1737. Comme en 1680, la période qui suit la refondation de la Comédie-Française en 1799 voit à nouveau le théâtre se consacrer aux pièces créées par d’autres : le répertoire de Marivaux appartenant à l’ancienne Comédie-Italienne, ainsi que celui des nouveaux théâtres qui émergent pendant la période révolutionnaire et post-révolutionnaire, au premier rang desquels le Théâtre de la République, mais aussi le Théâtre du Palais-Royal, le Théâtre Feydeau, le Théâtre Louvois, le Théâtre de l’Odéon, le Théâtre de Monsieur, le Théâtre Montansier…
Peu avant la décision impériale de rétablir un régime de privilèges en 1806, la Comédie-Française a néanmoins repris un rythme de création important. À l’exception de quelques pièces créées à l’Odéon (répertoires d’Ancelot, Delavigne, Picard, Alexandre Dumas, Vigny), au Théâtre de la Porte Saint-Martin (Marion Delorme de Hugo), valeurs sûres testées à l’extérieur et qu’il convient de faire entrer au répertoire, la Comédie-Française se consacre largement à la création de pièces nouvelles jusque dans les années 1860.
En 1864, le décret sur la liberté de l’industrie théâtrale précise dans son article 4 que « Les ouvrages dramatiques de tous les genres, y compris les pièces entrées dans le domaine public, pourront être représentés sur tous les théâtres ». Le répertoire n’est définitivement plus l’apanage d’un théâtre particulier et la Comédie-Française se met alors à piocher au Gymnase ou au Vaudeville les comédies bourgeoises à succès d’Émile Augier et Jules Sandeau (Le Gendre de Monsieur Poirier entre au répertoire quelques semaines après la parution du décret), Octave Feuillet, Dumas fils. Dans les années 1880, le rythme des créations ralentit au profit de reprises de pièces créées à l’extérieur. Les créations de nouvelles pièces restent toutefois majoritaires.
Dans les années 1920 et au début des années 1930, une polémique oppose les partisans d’un rajeunissement du répertoire à ceux qui prétendent faire de la Comédie-Française un conservatoire des oeuvres, insistant ainsi sur la patrimonialisation du répertoire. Romain Rolland, consulté en 1935, affirme ainsi : « Je voudrais que la Comédie-Française fût un Louvre du Théâtre. On y mettrait dans la meilleure lumière les chefs-d’oeuvre du passé – ayant soin, non seulement de maintenir incessamment à l’étude l’oeuvre entière des grands maîtres classiques, que la Comédie-Française d’aujourd’hui oublie honteusement, mais de rechercher dans le théâtre de second ordre les ouvrages caractéristiques, représentatifs d’une époque ou d’une personnalité (…) On y admettrait les modernes qu’avec une extrême réserve, et – j’ajouterais volontiers – seulement après leur mort. »
En 1936, l’administrateur Édouard Bourdet introduit la mise en scène moderne au Français. Son ambition de rénover la mise en scène des classiques concourt naturellement à favoriser le répertoire ancien que l’on monte avec de nouveaux décors, de nouveaux costumes, tout en ajoutant au répertoire des pièces de Jules Supervielle, Jean Sarment, François Mauriac, Gabriel Marcel, Jean Giraudoux, créées pour l’occasion.
De 1946 à 1959, l’administrateur a la responsabilité de la programmation de la salle Luxembourg à l’Odéon. Cette deuxième salle permet des incursions plus fréquentes dans le répertoire immédiatement contemporain de Bernard Zimmer, Claude-André Puget, Audiberti, André Obey, Aman-Jean… On observe une spécialisation de chacune des salles, répertoire classique pour Richelieu et théâtre de création pour la salle Luxembourg.
Lorsque la salle Luxembourg est retirée à la Comédie-Française, les comédiens poursuivent leurs explorations à Richelieu dans le répertoire contemporain jamais joué, avec des pièces de Montherlant (Le Cardinal d’Espagne), Audiberti, Roger-Ferdinand, Salacrou et Ionesco (La Soif et la Faim), les entrées au répertoire de pièces déjà jouées sont majoritaires depuis l’après-guerre, c’est le cas dans les années 1970, en dépit du bénéfice de l’Odéon retrouvé. Pierre Dux privilégie l’adaptation de pièces étrangères ou leur présentation dans de nouvelles traductions (Shakespeare, Sophocle, Rojas, Tchekhov, Goldoni…) plutôt que la découverte de textes n’ayant jamais été montés. La tendance se confirme par la suite à Richelieu : on peut citer les créations de Félicité d’Audureau en 1983, Papa doit manger de Marie Ndiaye en 2003, L’Espace furieux de Valère Novarina en 2006.
Au Théâtre du Vieux-Colombier et au Studio-Théâtre, en dehors du répertoire, on compte bien plus de créations : on peut citer, entre autres, les créations de pièces de Marc Delaruelle, Véronique Olmi, René Zahnd, Jean-Daniel Magnin, Tg STAN Discordia De Koe au Théâtre du Vieux-Colombier, Ewa Pokas, Elisabeth Janvier, Javier Tomeo, Max Rouquette, Michel Albertini, Yves Ravey, Xavier Durringer, Pierre-Henri Loÿs, Laurent Gaudé, Georges Tabori, François Bon, José Pliya, Pascal Rambert, Fabrice Melquiot au Studio-Théâtre.
Le bureau des lecteurs de la Comédie-Française lit aujourd’hui des textes d’auteurs contemporains, les sélectionne pour des lectures publiques. L’administratrice générale peut choisir de programmer parmi eux des textes qui naissent ainsi au public pour la première fois. Ce fut le cas de Burn Baby Burn de Carine Lacroix mis en scène au Studio-Théâtre en 2010, et c’est aujourd’hui au tour d’Erzuli Dahomey, déesse de l’amour de Jean-René Lemoine, lu par les Comédiens-Français en 2010, distingué comme coup de coeur du groupe des « spectateurs engagés » et dont la création mondiale aura lieu au Théâtre du Vieux-Colombier dans la mise en scène d’Éric Génovèse.

Notes

[1] La « création » d’une pièce intervient la première fois qu’elle est jouée par une troupe pour une série de représentations. Elle peut ensuite être « reprise » par la même troupe ou par d’autres troupes. Le plus souvent, la création d’une pièce est dans sa langue originale. Les traductions et adaptations ultérieures en langues étrangères font l’objet à leur tour de créations mais nous les écartons ici pour évoquer les créations au sens de « créations mondiales ».

Agathe Sanjuan

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