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Contagion

mise en scène Valérie Grail

: Présentation

Stéphane est professeur d’histoire. Supposé bien connaître les jeunes, il est sollicité au sujet du soupçon de radicalisation qui plane sur eux. Tour à tour face à un adolescent, un journalise et un auteur dramatique, il tente de répondre aux attentes des uns et des autres. Piégé par ce sujet toxique, son besoin de fuir devient vital.


François Bégaudeau passe au laser de son écriture singulière les vérités et les illusions, les tragédies réelles et les complots plus ou moins ineptes, liés à peur d'un désastre annoncé.


Note d'intention de Valérie Grail


A la suite d’une stupeur partagée par tous en janvier 2015, je me suis, comme beaucoup, interrogée sur le rôle et la place de la culture en général et du théâtre en particulier, en ces circonstances. Les débats, informations et lectures qui ont accompagnés cette réflexion m’ont plongée dans un désarroi où s’est accrochée en moi une formule : « nous mettons au monde des enfants inconnus dans un monde inconnu ». Le terme « inconnu » me paraissant alors le plus supportable pour envisager le monde de demain.


J’ai pu sortir de ma sidération en imaginant un projet de création qui coupe la parole à l’omniprésente évocation d’un désastre annoncé, un spectacle qui nous interroge ensemble, adultes et pas encore adultes, sur ce qui nous sépare et nous réunit dans un même mouvement. A contre-courant d’un didactisme ambiant intenable, j’ai rêvé de personnages qui osent douter de leurs rôles pour questionner précisément le lien de confiance et de curiosité indispensable à toute transmission de savoir et d’information.


Particulièrement attachée à la vérité que le théâtre fait tenir sur le fil tendu au-dessus du réel, je suis sensible à la nature autobiographique des œuvres que je mets en scène. J’avais rêvé d’adapter "Entre les murs" dès la sortie de son roman. Conquise par la vitalité et la finesse du style, la claire intelligence et l’humour de François Bégaudeau comme par la richesse et la singularité de son parcours de vie et d’artiste, il m’a semblé évident de faire appel à lui pour écrire le texte de ce projet. Lui, qui affectionne les contradictions et cultive ses doutes.


Je l’ai rencontré pour la première fois en mars 2016. Il a heureusement accepté cette commande et m’a proposé une première version de la pièce quelques semaines plus tard. Il l’a finalisée au fil des évènements, de nos échanges et lectures avec les acteurs. « Contagion » est tout ce que j’espérais, avec le supplément d’âme d’un auteur qui ne saurait être que dramatique et qui se livre ici pour tenter de nous délivrer.


Note d’intention de François Bégaudeau


La rumeur court. Elle dit que la jeunesse se radicalise. Elle ne passera pas par moi. Je suis rationnel, j’ai lu des livres. Je suis armé. Cette rumeur c’est n’importe quoi, dis-je, et le dire la colporte. Et elle grandit. L’air est gorgé d’elle, charrie des complots. L’air est saturé de soupçons. Irrespirable. Et moi, corps conducteur à mon corps défendant, me voici intoxiqué.


L’image passe. Sur un écran ou sur un autre. Je vois des hommes en égorger d’autres. Je reçois l’image. Je tombe dessus, dis-je pour m’amender, mais c’est elle qui tombe sur moi. J’ai des références, et qui m’immunisent. Je dis : c’est juste une image. Et cependant je reste devant l’image réfutée qui s’imprime en moi. Je suis sidéré. J’en parle, tu en parles, nous en parlons, et pour dire qu’on ne doit pas s’y arrêter, et ainsi elle se répand. L’image prend, l’image incube. Moi d’ordinaire si incrédule je suis piégé.


Un homme parle. Il dit : nous sommes en guerre. Il n’y croit qu’à moitié. Peut-être y croit-il complètement, peu importe : le virus s’introduit dans le corps social. Tous en parlent, et l’idée fait son chemin comme une grippe. On s’inquiète. L’inquiétude des parents insécurise les enfants. La fébrilité passe de corps en corps. La fébrilité crée la peur qui crée le danger. Les hostilités sont déclenchées. Nous nous regardons de travers. Nous ne nous supportons plus. Moi qui m’aimais bien je ne me supporte plus.


Je cherche à m’échapper. Je cherche à me purger. Je cherche à dissiper les images, à assourdir les mots. Les images et les mots me poursuivent. Puis je les fuis, plus ils se rapprochent. C’est proprement infernal. Je voudrais penser à autre chose. Je voudrais penser.


Je vais écrire une pièce. Elle tachera de parler autrement, plus longuement, plus précisément. Elle tachera de parler d’autre chose. Elle racontera trois segments de la vie d’un homme qui tache de parler d’autre chose. Et la chose insistera, comme toujours insiste ce qui est nié. L’homme ne réussira qu’à moitié. Il ne se sera purgé qu’à moitié. Au moins nous aurons essayé.

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