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Bouger les lignes - Histoires de cartes

+ d'infos sur le texte de Nicolas Doutey
mise en scène Bérangère Vantusso

: Entretien avec Bérangère Vantusso

Propos recueillis par Malika Baaziz

Bouger les lignes est interprété par des comédiens de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche. Comment les avez-vous connus ?


Bérangère Vantusso : J’ai rencontré la compagnie et travaillé avec certains de ses acteurs quand Michel Schweizer m’a demandé de concevoir une marionnette pour sa pièce Les Diables. Je connaissais l’Oiseau-Mouche de réputation et avais vu quelques-unes de leurs créations. Arrivée depuis un an à la direction de la compagnie, Léonor Baudouin m’a demandé si j’avais envie de collaborer à nouveau avec sa troupe. Une formidable invitation que j’ai évidemment acceptée.
Je pense qu’il y a un moment opportun dans un parcours de création pour travailler avec l’Oiseau-Mouche, un moment où il faut accepter de déplacer ses manières de faire, et nous ne sommes pas toujours prêts à cela. Travailler avec la compagnie, c’est une envie de bouger soi-même, de concevoir et de faire autrement. Je crois que je vis de plus en plus mes créations comme des expériences. J’accepte de ne pas trop en savoir avant de démarrer un travail. Cela me paraît être un bon début et encore plus pour un projet comme celui-là : laisser une grande place à l’imaginaire des comédiens, ne pas leur imposer trop de formes pré-établies. J’ai aussi eu un vrai désir de les rencontrer parce que la question de la norme et d’une certaine autorité du regard est centrale dans les projets que je monte.


Le titre de la pièce s’adapte aussi bien à la sémantique de la cartographie qu’à la vocation de l’Oiseau-Mouche. Comment le travail avec cette compagnie a-t-il « bougé » votre pratique ?


Bérangère Vantusso : Cela m’apporte beaucoup d’étonnement, de surprise, parce que, quand je propose une idée, ce que les acteurs proposent en retour se trouve souvent à un endroit que je n’aurais pas imaginé. Il y a beaucoup d’inattendu, ce qui est un bon ingrédient au théâtre. Nous avons aussi en commun un même moteur de travail : la joie. Les interprètes sont très curieux, ouverts, disponibles à la rencontre.
Ces grandes qualités cultivées au sein de la compagnie – aussi bien dans leur formation d’acteurs que dans le fait qu’ils ne jouent pas avec un metteur en scène attitré – rendent l’expérience incroyablement agréable. Il faut s’adapter, repenser, reformuler, ce qui oblige à se déplacer, à être plus précis ou à trouver un autre chemin pour se faire mieux comprendre. Le spectacle est parti de cette sémantique.
L’invitation de la compagnie est une carte blanche, qui passe d’abord par un workshop avec les comédiens. La première chose que j’ai souhaité faire était de m’adresser au jeune public. La deuxième était de trouver une thématique qui pourrait prendre une résonance particulière du fait du travail avec ces acteurs-là. Je souhaitais trouver un thème qui, traversé par ces comédiens, prendrait une épaisseur et une singularité.
Le titre Bouger les lignes est en effet à prendre aux deux endroits, cela fait se déplacer des deux côtés, du mien et du leur.


Autant politique que poétique, objet de savoir, représentation d’un imaginaire, la carte peut aussi être un outil de manipulation. Quels itinéraires avez-vous choisi d’emprunter ?


Bérangère Vantusso  : Nous avons dû faire des choix, trouver un équilibre entre les cartes imaginées par Paul Cox et les cartes historiques réelles, entre la carte routière et celle des vents... Elles forment des récits, se racontent, et nous nous sommes orientés vers certaines de leurs histoires. Nous avons pensé les cartes par thèmes, comme par exemple celui des frontières, pour parler des questions du commerce et de la guerre. Ce qui nous a aussi beaucoup intéressés était de voir comment les techniques d’élaboration des cartes leur ont permis d’évoluer.
Comment, dès que nous avons commencé à prendre de la hauteur, avec des montgolfières, des dirigeables, des avions, l’invention de la photographie aérienne, nous avons pu voir le monde comme Icare. Un autre thème important, en lien avec la question du commerce, était la privatisation de l’espace public qui apparaît avec les satellites et les GPS.
La possibilité de se géolocaliser instantanément a amené certaines grosses franchises à acheter des espaces à Google pour pouvoir figurer sur ses cartes. Quelles que soient les évolutions technologiques, la carte est avant tout un objet de pouvoir, un outil d’autorité. Les moyens techniques évoluent mais la volonté derrière, celle de maîtriser, de contrôler, reste à peu près la même.
Aujourd’hui, nous cartographions tout, des fromages de France à la pandémie. C’est devenu une manière d’objectiver et de simplifier. Je suis à la fois méfiante et fascinée par les cartes, c’est merveilleux d’avoir une vision globale en une image, de pouvoir capturer un concept, mais cela peut être dangereux car il est très facile de faire dire aux cartes ce que l’on veut.


Le spectacle s’adresse également aux plus jeunes, que souhaitez-vous leur transmettre ?


Bérangère Vantusso : La carte est un objet ambivalent, complexe, fascinant. En s’intéressant aux cartes, le monde n’est plus le même. Cela a beaucoup changé mon rapport aux repères et ma représentation de l’espace. Un de mes souhaits en réalisant cette création, pensée pour tous à partir de 9-10 ans, est de faire naître cet effet chez de jeunes spectateurs. C’est un âge où ils ont encore un vrai pied dans l’enfance et sont en même temps en train de s’ouvrir à la société et au monde tel qu’il est pensé et organisé. J’aimerais qu’après ce spectacle, ils observent les gens et les espaces différemment, qu’ils regardent et comprennent le monde autrement..
J’aimerais que les jeunes spectateurs comprennent que cette organisation de l’espace n’est pas du tout anodine. Elle est souvent imposée et il est toujours mieux de s’en rendre compte, cela rend plus libre. Ce qui me plaît aussi c’est que les comédiens de l’Oiseau-Mouche soient les vecteurs de ce savoir, c’est également cela qui fait bouger les lignes.


  • Propos recueillis par Malika Baaziz en janvier 2021 pour le Festival d'Avignon
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